Dans la baie de Quiberon

Dans la baie de Quiberon

vendredi 18 février 2011

Eglise de Carteret, 16 février 2011





Papa,

quelle chance d'avoir pu constater ton apaisement, ton calme, au moment d'aller rejoindre ceux que tu aimes, et qui t'avaient précédé dans l'autre vie.

Particulièrement Benoit qui peut enfin t'offrir à nouveau son sourire d'enfant, dont tu as fini par avouer tout récemment qu'il t'avait tant manqué.

Lorsque tu nous as appelés auprès de toi en ce début d'année, nous avons une fois de plus, été bluffés par ta résistance, à la douleur et aux traitements qui étaient infligés à ton corps, afin de faire encore fonctionner timonerie, salle des machines ou onduleur comme tu aurais pu évoquer ton organisme.

C'est que, avec toutes ces années de combat et de volonté, tu étais devenu un spécialiste très pointu du monde médical, à la grande incrédulité de la profession devant ton pedigree de patient.

De notre côté, tout ceci finit presque par être vécu comme une routine, à tel point que l'on a encore pu voir maman compatir pendant de longues conversations téléphoniques avec ses amis : " oh mon pauvre coco, ton jardin a été labouré par les taupes" ou bien "quelle tuile, ton fils s'est cassé le bras"; pour finir par glisser que papa était très souffrant, encore, mais qu'il se remettrait une nouvelle fois en selle...

Ta combativité, donc, et le soutien inconditionnel de maman, ont permis à ton équipage de se souder une fois encore, de se réunir, vivre, rire et pleurer, boire et manger, se fâcher et se réconcilier, ou évoquer ses souvenirs.

Ton existence fut menée en affrontant l'adversité et dans l'exigence du devoir accompli, avec la discrétion et la modestie - parfois agaçantes - dont tu as toujours fait preuve.

Mais nous avons vécu avec toi, papa, au long cours d'une vie qui ne manquait pas de sel, marquée par les évènements familiaux et amicaux, nombreux et joyeux, notamment ici, à Carteret.

Le Cotentin, si cher à ton coeur, fut le berceau de souvenirs forts, au sein de notre famille proche - la grande fratrie issue de Mummy et Georges, mais aussi cette pléthore de cousins ou amis, plus éloignés par le sang, mais tout aussi proches, finalement.

Et Baubigny ! Nos barbecues, ces souvenirs de pêches miraculeuses, lorsque nous passions sur un banc de maquereaux au large du Pou, les moutons dans le champ, que jamais nous ne parvenions à attraper, les escargots dont nous organisions des courses, sur la dalle derrière la maison.

Baubigny, point de départ de nombreuses et magnifiques ballades en vélo. " A bicyclette, te dis-je, nom d'une pipe !"

Personne n'ayant connu le Presbytère de Baubigny n'aura oublié le confort d'une certaine cabane au fond du jardin, et, tes enfants l'espérent, toi encore moins que les autres.

Ceux qui te connaissent bien savent également que cette vie put être jalonnée de frustrations, de peines et de colères rentrées - ou exprimées avec puissance, comme de belles tempêtes sur le sentier des douaniers, ou dans le raz Blanchard.

Le choix de vous installer, maman et toi, dans le Morbihan t'a encouragé à laisser libre cours, ces dernières années, à ta passion pour la peinture.

Ton cousin jean-Pierre t'avait peut-être inoculé ce virus quand enfant, il t'avait emmené sur son porte bagage du côté de chez tante J, à Trôo; la beauté des côtes morbihanaiseset les contrastes de lumière propres à la Bretagne, t'ont décidé à faire glisser le pinceau sur la toile, et laisser enfin s'exprimer ton immense sensibilité.

Ta dernière exposition, reportée plusieurs fois et finalement aboutie en novembre dernier fut une réussite, la manifestation d'un certain talent, et une ultime occasion d'être entouré de ceux que tu aimes.

Cet acharnement à déjouer tous les pronoctics t'a par dessus tout permis de voir ta plus belle oeuvre, celle dont tu peux être d'une fierté sans limite : ta famille, tes enfants et petits enfants qui sont tous ici pour te rendre hommage, et te remercier de t'être battu.

Aujourd'hui, de Hugo à Sandro, l'équipage de Tahoma, les St O, Rosset, Mancuso ou Brouillot - beaucoup d'O certes, mais quoi de plus normal pour un amoureux de la mer et des bateaux - ta fratrie importante, tes amis nombreux et fidèles, nous sommes tous venus te témoigner notre admiration et te rappeler notre amour.

Nous quittons donc maintenant la coupée, et te laissons larguer les amarres, toi qui as passionnément aimé l'eau, tant qu'elle n'était pas contenue dans un verre.

Puisses tu maintenant naviguer en paix, voguer cers ceux que tu as particulièrement aimés, Bon Papa et ton père Georges, Mummy et Barbara, fendre l'écume vers tes amis déjà partis, Jacques, Bruno ou Jean Denis.

Surtout, n'oublie pas d'ouvrir quelques huitres et de déboucher de bonnes bouteilles avec ton vieux copain Jean-Luc, pour évoquer les fortunes de mer, le bon temps passé, et les grandes familles avec leurs histoires et leurs richesses.

Bon vent, bonne mer, papa !

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